Vilma Fuentes
Ecrivain
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Vilma Fuentes : « Être soi est déjà un miracle » |
Culture - Article paru le 19 mars 2009 |
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Salon du livre . L'événement s'est clos hier, prouvant le foisonnement de la littérature mexicaine. | ||
Nous avions rencontré pour la première fois Vilma Fuentes à Biarritz, lors du festival qui relie aux nôtres les rives du continent sud-américain. Un taxi partagé et l'année suivante, cette sorte d'échanges de reconnaissance qu'autorise le commun dépaysement. En cet automne 2008, Vilma Fuentes, journaliste et écrivain, accompagnait son dernier ouvrage, Des châteaux en enfer. Elle se montrait soucieuse, avant la présentation de l'ouvrage au public, de ne pas manquer d'évoquer, en termes adéquats, la terrible répression qui s'était abattue, en 1968, sur les étudiants en révolte de l'université de sa ville natale, Mexico, dont c'était l'anniversaire. Nous avions pris date à Paris où elle réside depuis 1975. un flux littéraire limpide et brûlant De la terrasse d'un café de la place Maubert, nous l'avons vue accomplir les deux pas qui la séparaient de son logis. Souriante et vive, oeil et cheveux noirs, graphiques, comme échappée d'une toile de Kirchner dans le Berlin expressionniste. C'est pourtant bien au Mexique, toujours, que ramènent les chemins d'écriture de Vilma Fuentes, rejoignant leurs sources pour épouser les méandres d'un flux littéraire limpide et brûlant comme une eau-de-vie, et s'étoiler en oeuvres d'universelle portée. « J'ai toujours voulu écrire, raconte Vilma Fuentes. Petite, mon père me lisait les Mille et Une Nuits. Je le croyais magicien. Les enfants voient vraiment les chevaux ailés, les tapis volants et les lampes merveilleuses. L'écriture, que je ne maîtrisais pas encore, est ainsi devenue quelque chose de magique. Mon père était journaliste. Il me montrait les lettres de sa machine à écrire et me disait : "Avec ces lettres, tu peux composer tous les mots que tu veux, en espagnol ou dans n'importe quelle autre langue." » Une polio qui la confinait en partie, les interminables trajets du bus scolaire, autant de temps suspendus propices à la lecture et que Vilma Fuentes retrace dans son premier recueil de nouvelles, l'Autobus de Mexico, publié ici en 1995. Aux souvenirs chéris nul besoin d'auto-citation et son enthousiasme abolit les distances lorsqu'elle évoque aujourd'hui Salgado, Dumas, pléthore de petites mythologies à l'usage des enfants « et une édition de la Divine Comédie, de Dante, que l'on me cachait à cause des nus dont l'avait illustrée Gustave Doré ». « percer des énigmes successives » « Il ne s'agissait pas tant de littérature, poursuit-elle, que d'une quête de mythes qui devait me conduire plus tard à des études de philosophie. Avant cela je mettais sur le papier de petits poèmes, des pensées, comme autant de tentatives de percer des énigmes successives. Mais la philosophie est à mes yeux un schéma qui s'oppose à celui de l'écriture, c'est un univers d'abstraction. Cela m'a pourtant aidée à la construction de mon dernier livre. » Dans Des Châteaux en enfer, l'on voit l'édification d'un empire touristique dévorer la nature encore majestueuse, tandis que tentent de s'arrimer là des flopées de pauvres hères. Acapulco devient alors le microcosme du monde tel qu'il va en ses affrontements de classes, de nature et culture, en combats que se livrent passion et raison sous les cieux flamboyants. La chaleur étouffe qui ne peut s'en défendre. À la cime des arbres, les palmes bruissent bien au-dessus du sang. Le jeune Lopitos, gamin de rien, se liera à quelques personnages étranges, un jésuite au machiavélisme digne des caves vaticanes, une femme dont on ne sait si la beauté et le goût du pouvoir puisent à l'éternité de la sorcellerie ou à celle des manipulations qui assurent leur domination aux reines de harem. Entre violence et poésie du récit, Lopitos, devenu le chef des pistoleros qui font dans cet enfer la loi des pauvres, rencontrera son destin en toute cruauté. « J'ai installé dans ce livre la trame de l'anecdote, reprend Vilma Fuentes, celle de la construction de l'Acapulco touristique avec des capitaux européens. Ensuite les personnages, comme autant d'archétypes. Cette femme, la Santa, est ainsi un archétype de femme mexicaine à l'instar de Maria Feliz. Elle prend la place du "macho" dans une époque, celle des années trente, dans laquelle le machisme était très fort. Je raconte mon histoire à partir de celle de Lopitos, qui a vraiment existé et qui a réellement été assassiné. Mais ce n'est pas un récit historique. Je ne suis pas documentariste. J'ai été inspirée par une photo de Lopitos. Il y a très longtemps, j'avais écrit un texte bref, deux ou trois pages, sur le destin de ce jeune garçon. » « donner la parole à mes personnages » Et la philosophie ? « Je livre mon analyse du pouvoir s'amuse Vilma Fuentes. C'est pour moi un vice qui, au lieu de raccourcir la vie, comme l'alcool ou la cocaïne, la prolonge comme l'avarice. Bien sûr, il y a l'espoir, qui est assez malin. J'avais relu l'Antéchrist, de Nietzsche. On y lit que toute conscience veut la mort de l'autre. C'est ça le pouvoir. Je ne juge ni d'un point de vue de gauche ou de droite ni d'un point de vue moral. Je préfère donner la parole à mes personnages et laisser la philosophie accomplir sa part. Être soi est déjà un miracle. C'est le personnage de Lopitos. Il ne croit pas en son futur mais il aurait pu ne pas être, et c'est ce qui le tient en vie. » Toujours Vilma Fuentes parle de récit plutôt que de roman. « Comme Borges qui, avec d'autres que je croisais dans un café d'écrivains et de journalistes à Mexico, m'a poussée à publier. J'avais beaucoup écrit sans vraiment y songer. » En ces années de jeunesse, il y avait le journalisme dans une petite agence de presse, un premier mari, David, étudiant, leur appartement modeste un jour d'octobre 1968. « L'effervescence politique contre le pouvoir était intense. On se réunissait en groupes, on tenait des assemblées générales. J'en ai été écartée parce que j'étais enceinte, se souvient Vilma Fuentes. Le 2 octobre était une journée très ensoleillée. De ma fenêtre, rue de l'Université, je voyais passer des tanks, des policiers. Tout était sinon bizarrement silencieux. J'étais à la maison, seule comme une idiote et cela m'a peut-être sauvé la vie. L'université de Mexico, immense, était occupée par l'armée du général Toledo. Il avait déjà "pris" plusieurs universités dans le pays. C'était son métier. Mais personne ne pensait qu'il pouvait tirer sur des étudiants. Quand ma belle-soeur et son mari sont venus frapper en cherchant David, ils m'ont parlé de répression, m'ont crié : "On tue les étudiants à coups de mitraillettes." Avec mon arrogance de fille de la classe moyenne, cela me semblait impossible alors que nous savions que des tueries avaient frappé des révoltes d'ouvriers ou d'employés des chemins de fer. Et enfin David est rentré. Ensanglanté, en état de choc. L'armée, les paramilitaires, sa fuite dans les couloirs de l'université en piétinant les cadavres de ses camarades… Des flashs ne lui sont revenus que plus tard. On nous a cachés. Notre fille est née dix jours plus tard. » pour échapper à la folie Presque sous forme de journal, Vilma Fuentes retrace ces épisodes dans la Castaneda, la Châtaigneraie, du nom d'un asile psychiatrique d'où la narratrice tiendrait sa chronique pour échapper à la folie. « Un livre cathartique, écrit après mon arrivée en France, souligne Vilma Fuentes. Il m'a permis d'en écrire un autre, plus imaginatif et moins narcissique, Gloria. » Avant cela ce furent quelques années au ministère du Patrimoine national mexicain aux côtés d'un ministre de gauche. Une analyse entamée avec un psychiatre auquel elle finira par servir de nègre pour ses publications. Et avec l'argent gagné, Paris. « Un émerveillement, sourit-elle, en se remémorant la petite pluie fine qui tombait avant-hier comme le jour de mon arrivée. » La presse encore avec une chronique pour le journal mexicain la Jornada et d'autres livres, dont Flores negras, pas encore traduit ici. « Je ne retourne au Mexique que tous les deux ou trois ans, explique Vilma Fuentes. La distance multiplie le temps. » King Lopitos est paru aux Allusifs. Le reste de l'oeuvre de Vilma Fuentes chez Actes Sud et à la Différence. Entretien réalisé par Dominique Widemann |
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